Note : Veuillez excuser le bruit de fond. Je devais réaliser l’entrevue dans un endroit plus calme, mais ce ne fut pas le cas. Fort heureusement, les micros-cravates ont fait des miracles!
Début: Je reçois avec grand bonheur le Dr Simon Gadbois, qui a la grande générosité de m’accorder une entrevue malgré son emploi du temps bien chargé.
Pour le présenter, je sors ma feuille, car il y a beaucoup à dire sur lui : le Dr Gadbois est éthologue et neuro-éthologue. Je définis l’éthologie pour ceux qui ne connaissent pas cette science : c’est l’étude du comportement des espèces animales dans leur milieu naturel. Il est également professeur à l’Université de Dalhousie en Nouvelle-Écosse, où il enseigne le comportement animal et la neuroscience comportementale des canidés (renard roux, coyote, loup, chien).
Je demande à Simon si, plus simplement, on peut dire qu’il enseigne comment le cerveau influence le comportement. Il répond que oui, certains de ses cours sont axés sur le comportement, où il va évoquer à l’occasion le cerveau, et d’autres sont plutôt orientés sur le cerveau et où il donne des exemples sur le comportement. Ça dépend de son audience, c’est-à-dire si celle-ci sont des étudiants en psychologie, en biologie ou en neuroscience. Ça dépend à qui il s’adresse, ça dépend du cours, mais Simon résume en disant qu’en général, oui, il aborde les deux, comportement et cerveau ensemble.
Je poursuis ma présentation (car ce n’est pas fini!) : Simon a aussi formé des chiens de conservation de la faune, c’est-à-dire des chiens spécialisés en détection d’odeur pour pister sur le terrain des espèces menacées afin de répertorier ces espèces.
Et pour terminer, le Dr Gadbois a également mis sur pied un programme de recherche sur les applications biomédicales de la détection et de la discrimination d’odeurs. Je demande si on parle de chiens de diagnostic de maladies et d’assistance médicale. Simon me corrige en précisant que leurs chiens ne font pas de diagnostic proprement dit, mais plutôt de l’alerte de certaines conditions médicales. Par exemple, dans le passé, ils (son laboratoire) ont travaillé avec des chiens qui pouvaient sonner l’alerte pour le diabète : s’il y avait une montée ou une descente de glucose trop élevée dans le sang, le chien pouvait le signaler. Mais aujourd’hui, ils se sont concentrés plus sur les chiens qui travaillent avec les gens qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique. Le chien alerte la personne avant que celle-ci se rende compte qu’elle va avoir une crise d’anxiété. Je précise que c’est dans cette optique qu’on parle d’«assistance médicale».
03:34: Avant d’aller plus loin, je prends le temps de remercier le Dr Gadbois, et je lui précise que je me sens privilégiée de l’avoir avec moi et combien j’admire tout ce qu’il fait. J’ajoute que, passionnée des chiens, je suis aussi passionnée de science, alors je suis doublement gâtée! Cela dit, je tiens à préciser que, comme la plupart des gens qui regardent mes entrevues sont des propriétaires de chien, on va essayer de ne pas trop les perdre dans des notions trop scientifiques (ni se perdre nous-mêmes!).
04:13: J’annonce à Simon que lorsque je fais des entrevues, je ne fais pas que demander à mes invités leurs connaissances, mais aussi faire connaître la personne que j’ai devant moi, car j’aime la découvrir et je trouve toujours intéressant de connaître l’histoire, le parcours de mes invités. Je l’interroge donc sur son parcours. Je lui demande si, lorsqu’il a débuté ses études, il savait exactement où il voulait être aujourd’hui, c’est-à-dire être chercheur et scientifique, ou bien c’est la vie et les rencontres qui l’ont emmené là où il est aujourd’hui.
Il répond oui et non. Il explique que, dès l’âge de 11 ans, il savait qu’il voulait être comme Conrad Lorenz. Il avait lu un de ses livres intitulé Tous les chiens tous les chats. Conrad Lorenz, un éthologue autrichien, était connu pour avoir étudié les loups et les chiens, et à la lecture de son livre, Simon a su qu’il voulait faire la même chose. À l’époque, tout le monde voulait qu’il devienne vétérinaire, car quand on aime les animaux, on pense à ce parcours classique, mais lui n’était absolument pas intéressé par cette profession. Par contre, étudier les animaux dans leur milieu naturel, ça, ça lui parlait beaucoup. Alors c’est comme ça que tout a commencé. Sauf qu’à cette époque, tout le monde se foutait de sa gueule, y compris ses parents, car on lui disait «qui va faire une carrière comme ça, tu ne gagneras pas d’argent, etc.». Il avoue que c’est vrai que ça n’a pas été évident parce que c’est difficile de se spécialiser dans le comportement animal et qu’il y a plusieurs chemins pour emprunter cette voie.
06:08: Simon a commencé par faire ses études collégiales en sciences de la santé (science nature aujourd’hui) parce qu’on y enseignait plus de biologie que dans le programme de sciences pures. Ensuite, il a poursuivi ses études en biologie. Mais au beau milieu de ses études, il s’est rendu compte qu’il y avait très peu de cours en comportement animal et sur le système nerveux dans son département, les deux sujets qui l’intéressaient le plus à l’époque.
En même temps, il a réalisé que, dans le département de psychologie, ils faisaient énormément de comportement animal et énormément de système nerveux… alors Simon s’est dit que c’était là qu’il voulait aller! Il s’est donc retrouvé à faire un diplôme combiné en biologie et psychologie, ce qui est très commun dans le Canada anglais et dans le monde anglosaxon. Le Dr Gadbois précise que c’est la meilleure combinaison, car en biologie, on devient spécialisé en comportement, alors qu’en psychologie, on se retrouve spécialisé en comportement animal. Et par là, il n’a pas été obligé de suivre les autres cours en biologie qui ne l’intéressaient pas.
Voilà un peu son parcours. Il précise ensuite qu’il a passé du temps avec des biologistes et des psychologues expérimentalistes, et tous ces gens-là travaillaient avec le cerveau aussi. Simon a donc intégré la psychologie, la biologie et la neuroscience.
Malgré tout, il se considère plus éthologue… si on lui mettait le fusil sur la tempe et qu’on lui demandait de choisir entre les trois, il choisirait éthologue.
Je conclus cette section en affirmant que chaque histoire est intéressante!
07:52: En prologue au premier sujet que je veux aborder avec Simon, je lui dis avec humour que même si on lui a demandé 3 millions de fois la question que je vais lui poser, je vais la lui poser pour la 3 millionième et une fois, car je trouve important de parler du sujet de la dominance. C’est important parce que mes clients et beaucoup de personnes me disent encore «Mon chien est dominant, mon chien est soumis», et on sait que le concept de dominance que les gens ont dans leur tête est faux. Alors je lui dis que j’aimerais qu’on remette les pendules à l’heure et qu’on explore d’où vient ce faux concept.
Simon répond que c’est un peu triste parce que cette fausse interprétation est la faute justement de Conrad Lorenz, car il est un de ceux qui ont introduit ce concept dans la littérature populaire dans les années 1940-1960 ; c’est lui qui a rendu ça un peu plus «public». Simon poursuit en disant qu’il y a des vérités et des faussetés dans le concept de dominance, et il faut faire bien attention, car c’est un sujet qui est plein de nuances. Il y a des gens qui vont dire des énoncés très radicaux d’un côté ou de l’autre, et dans aucun des cas on est dans la réalité.
09:07: Concernant la dominance, le Dr Gadbois explique que la vraie question est : «Est-ce que le concept de dominance est vraiment pertinent dans le contexte du chien?» À cette question précise, Simon affirme que non, et pour plusieurs raisons.
Premièrement, on a passé des milliers d’années à faire la reproduction sélective des chiens (ou du loup dans les débuts) justement pour se débarrasser des comportements d’agression et des comportements de «dominance» (Simon insiste sur le mot entre guillemets). Alors pour cette première raison, le concept de dominance n’est pas pertinent dans le contexte du chien.
La 2e raison pour laquelle le concept de dominance n’est pas pertinent dans le contexte du chien, c’est que, dans certaines meutes de loups, il existe de la dominance, mais dans d’autres meutes, non. Simon ajoute qu’il y a énormément de flexibilité chez les loups dans ce domaine.
Mon invité explique ensuite que ce qui est intéressant, c’est que les loups entrent en hiérarchie de dominance seulement lorsqu’ils sont à maturité sexuelle, c’est-à-dire vers l’âge de 1 ou 2 ans. À ce moment-là, ils vont peut-être entrer dans une certaine hiérarchie, si celle-ci existe dans la meute.
Simon précise toutefois qu’il ne faut pas oublier ceci : chez les loups et chez tous les autres animaux où existe la hiérarchie de dominance, il faut savoir que le but de la hiérarchie de dominance est de se débarrasser des conflits, et pas de les créer! C’est pour donner une certaine structure (j’ajoute «sociale») dans la meute, pour savoir où se retrouver dans tout ça.
10:44: On en revient aux chiens. Simon nous apprend que dans le processus de domestication du chien, on l’a «neotenised» (comme on dit en anglais), c’est-à-dire qu’on l’a «juvénilisé», ce qui fait en sorte qu’un chien adulte correspond à peu près à loup d’un an ou deux. Autrement dit, le chien qui évolue dans nos vies n’est techniquement pas un loup à maturité sexuelle. En termes de développement, il y a quelque chose qui s’est complètement déphasé. En d’autres termes, nos chiens ne sont pas faits pour comprendre ce principe de la hiérarchie de dominance, même s’il y en avait.
Cela dit, Simon ajoute que, dans certaines meutes de chiens ruraux que l’on retrouve en Italie et dans certains autres pays d’Europe, on voit qu’il se recrée parfois une certaine structure sociale comme il en existe chez les loups, mais c’est dilué et ce n’est de toute façon pas exactement la même et c’est, hélas, moins efficace.
11:40: Le Dr Gadbois explique que de toute façon, tout ça ne justifie pas les méthodes que les gens préconisent parfois et qui sont basées sur la dominance. Il n’y a aucune justification pour l’utilisation de ces méthodes, parce qu’elles sont basées sur la force, sur la peur, sur le stress, sur la punition, alors que la façon déontologique ou éthique de dresser, d’éduquer un chien, c’est de prendre une approche douce et d’utiliser le renforcement positif. Simon en fait plus une question d’éthique et déontologique qu’une question scientifique.
Car on peut se perdre très facilement dans un débat scientifique, à savoir «Est-ce qu’il y a de la dominance chez les chiens ou il n’y en a pas?», «Comment y a-t-il de dominance chez les chiens versus les loups?»… Simon ajoute qu’il y a même le débat «Est-ce que les chiens viennent des loups?»; là-dessus, il nous informe que génétiquement, c’est pas mal sûr que oui, malgré qu’il subsiste quelques doutes par rapport à certaines populations…
Le Dr Gadbois conclut en disant qu’il est très facile de se perdre dans toutes ces discussions, alors il est simplement mieux de se dire qu’il y a une façon déontologique d’encadrer nos chiens. Il ajoute qu’il prend toujours ses enfants comme cadre de référence. Bien sûr, il précise que ce n’est pas la même chose, mais que de toute façon, il affirme qu’il ne ferait jamais à ses chiens ce qu’il ne ferait pas à ses enfants. Il traite ses enfants de façon positive, il utilise le moins possible la punition, et pour son animal, il veut vivre avec un égal, un compagnon, un ami, et non un subordonné qu’il essaie constamment de contrôler en s’imaginant en plus que c’est l’animal qui essaie de le contrôler!
13:34: J’interviens en disant que ce qui est bizarre, c’est qu’on dit souvent qu’un chien essaie de nous contrôler, mais on ne dit jamais qu’un lapin ou une perruche essaie de nous contrôler !
Simon renchérit en disant que c’est un très bon exemple, car justement chez les perroquets, il existe une assez grande relation de dominance. Il vont facilement essayer d’établir une hiérarchie, car ce sont des animaux qui sont très naturellement à la recherche de contrôle. Il conclut en disant qu’il n’y a certainement pas de comparaison à faire avec les chiens dans ce cas.
Le Dr Gadbois poursuit en disant que ce qui arrive avec les chiens, c’est que pendant des milliers d’années, depuis 8000 à 15 000 ans, on a fait de la sélection artificielle pour se débarrasser du comportement d’agressivité. Simon ajoute que c’est finalement un peu farfelu d’essayer de ramener ce concept dans le débat.
J’interviens en disant que, même si on débat scientifiquement pendant des lustres, il reste que la réalité est là et on sait que, être en compagnonnage avec nos chiens et les éduquer de façon étique, c’est beaucoup plus efficace.
14:42: Je rebondis sur cette discussion pour aborder un autre sujet. Je raconte à Simon que l’année dernière (2018), j’ai assisté à sa conférence à Montréal, et il y a quelque chose que j’y ai appris et qui m’a frappée. Je commence par affirmer qu’on travaille avec des renforçateurs pour motiver le chien à adopter le comportement qu’on veut au lieu de le forcer à le faire. On est donc en renforcement positif au lieu de punitif. Mais je lui souligne qu’il a dit que ce qui est plus fort chez le chien que la motivation, c’est l’anticipation. Je demande au Dr Gadbois de nous détailler ça, car je trouve ce concept vraiment intéressant.
Simon m’explique que ça vient un peu du fait que les nouvelles théories de la motivation chez l’humain mais aussi chez l’animal sont basées sur l’idée que ce qui nous fait faire des choses, c’est l’anticipation de ces choses-là. C’est plus important que le renforçateur lui-même. Il ajoute que c’est tellement logique, dans le fond. Ça explique tellement de choses que les gens font, y compris aller au travail à tous les jours pour recevoir un bout de papier, un chèque. Il poursuit en disant que c’est un renforçateur pourquoi? Eh bien parce que celui-ci nous permet d’acheter de la nourriture, de payer le loyer, de faire nos paiements de voiture… J’ajoute «nous payer des plaisirs». Simon acquiesce et complète en disant «et se payer une bière, etc., etc.»
Il raconte qu’on est déconnectés dans le temps avec le renforçateur immédiat qui est, par exemple, d’aller prendre une bière ou de faire notre paiement de voiture, et que c’est difficile d’expliquer pourquoi ça fonctionne. Mais les nouvelles théories qui examinent le cerveau et comment celui-ci répond au renforcement se rendent compte qu’en fait, on arrête de se comporter, c’est-à-dire de vouloir faire des choses lorsqu’on fait la consommation du renforçateur. C’est au moment où le renforçateur n’est plus là qu’on recommence à travailler en anticipation de celui-ci. Simon précise que c’est ça, la clé. Il ajoute que ça explique beaucoup de choses, y compris le comportement de nourrissage, le comportement de chasse chez les animaux. Ça nous fait comprendre pourquoi, malgré plusieurs échecs, ils s’y remettent sans cesse. C’est parce qu’il y a une très forte anticipation du renforçateur, c’est-à-dire de ce qu’ils vont manger plus tard. C’est ça qui les fait agir, finalement.
17:10: Je reprends l’explication de Simon en d’autres mots pour éclaircir son propos et faire un parallèle avec l’humain : on n’a pas le plaisir tout de suite (on parle du renforçateur «plaisir»), mais on est dans l’anticipation que ça s’en vient et ça, c’est encore plus excitant pour nous.
Le Dr Gadbois renchérit en disant que même parfois cela peut devenir pathologique. Dans le cas du gambling, par exemple, les gens perdent, et continuent à jouer et à perdre encore et encore. On se demande comment se fait-il qu’ils continuent à jouer, à mettre de l’argent dans la machine alors qu’ils continuent de perdre? Il confirme que les théories de l’anticipation expliquent ça en fait, elles démontrent que dans certains contextes, le cerveau fonctionne ainsi. La personne remet de l’argent dans la machine en se disant : «Ah, peut-être que la prochaine fois je vais gagner», ne gagne pas, et continue tout de même à remettre de l’argent : «Ah, peut-être que la prochaine fois je vais gagner», etc., etc.
18:02: Tout ça pour dire que, poursuit Simon, lorsqu’on entraîne un chien, on a un peu le contrôle sur cette anticipation et, sans entrer dans les détails, il explique que nous sommes un peu trop rigides sur la façon avec laquelle on décide de donner un renforçateur à chaque fois qu’un animal produit une bonne réponse. Alors qu’en fait, théoriquement, ce n’est pas nécessaire pour plusieurs raisons.
Premièrement, si on récompense à chaque fois, on sait que le comportement ne va pas se maintenir aussi longtemps si on arrête de renforcer. Ensuite, l’autre facteur, c’est que le chien serait possiblement encore plus motivé s’il y a de l’anticipation. Le chien se dit : «Ah, tu ne m’as pas donné la croquette, est-ce que je vais l’avoir la prochaine fois?»
Mais dans le monde moderne, parmi les entraîneurs de chiens, l’idée que le chien va arrêter de travailler si on ne lui donne pas la croquette à chaque fois a commencé à circuler. Simon affirme que cette idée n’est pas tout à fait vraie, en fait. Il ajoute qu’il faut faire attention à ça, et qu’il faut être un professionnel pour savoir quand donner la récompense. Simon explique qu’il voit souvent des gens essayer de réduire le renforçateur et, de façon générale, ils vont trop vite.
Il ajoute qu’il est inutile de se torturer si on a oublié de donner la récompense à un moment où le chien a donné un comportement. Au contraire, ça va le motiver encore plus.
19:39: Je passe à un autre sujet qui me tient beaucoup à cœur : l’émotion qui sous-tend le comportement. Je raconte à Simon que la plupart du temps, lorsque mes clients m’appellent pour un problème de comportement, ils focussent sur ledit comportement, et ils oublient que derrière le comportement, il y a une émotion. Et autour de tout ça, il y a les hormones, le cerveau… alors je trouverais intéressant que les gens puissent comprendre que tout ça est interrelié, que c’est un système complexe.
Je demande à Simon si on peut élaborer sur ce sujet afin que les gens comprennent que, si leur chien a un problème de comportement, ce n’est pas juste un «comportement», mais un ensemble de réactions qui finissent par produire un comportement.
Mon invité répond en ajoutant un élément à ma liste : l’environnement immédiat. Dans son école de pensée, qu’on appelle l’école perception-action en neuroscience et en éthologie, il existe l’idée que n’importe quel animal, dont l’humain et le chien, agit dans son environnement selon ce que celui-ci lui offre. Ce concept s’appelle «affordance» en anglais.
Pour démontrer l’intérêt de ce concept, Simon donne l’exemple suivant : souvent, ses étudiants en laboratoire vont le voir à son bureau pour lui dire qu’avec un certain chien, ça ne marche pas, il ne comprend pas ce qu’on lui demande de faire. Cela arrive par exemple dans le cadre de discrimination d’odeurs complexes. Alors Simon raconte qu’il descend au labo, il regarde le chien travailler, et il se rend compte que celui-ci ne comprend pas le «set-up» (l’installation physique). Il ne comprend pas l’environnement, car ce dernier est très artificiel, très stérile, très labo, bref, il ne comprend pas son environnement.
Alors dans ce temps-là, Simon sort des boîtes, des enveloppes, des bouts de papier, il y cache les odeurs, et il les disperse un peu partout dans la pièce. Ensuite, il fait sentir l’odeur à chercher au chien, puis il lui dit de la chercher. Là, tout d’un coup, le chien comprend (il «allume»), révèle le Dr Gadbois. Pourtant, c’est la même tâche, les mêmes odeurs, sauf qu’au lieu de présenter au chien des petits pots en verre alignés bien droits, on lui présente la même tâche dans d’autres éléments, cachés. Même, c’est plus difficile, ajoute Simon, car le matériel est plus contaminé car il les a manipulés. Mais malgré tout, le chien s’engage dans le travail, il est concentré, il renifle à fond. Et à la prochaine session, les petits pots sont ressortis et le chien n’a plus de problème, il exécute la tâche automatiquement.
22:00: Simon résume ce propos en disant qu’on oublie souvent qu’il y a des éléments externes à l’animal. On voit le chien faire tel comportement, par exemple japper agressivement envers une certaine personne, et si on prend le temps de bien observer la situation, on va se rendre compte que le chien jappe toujours dans le salon vers 16h. Il y a quelque chose qui se passe là pour le chien. J’interviens en ajoutant que dans ce temps-là, nous, on essaie d’analyser ailleurs : «c’est quelle personne, c’est quoi»!
Mon invité spécifie que dans l’histoire du chien, il s’est probablement passé quelque chose à cet endroit à cette heure. Il ajoute qu’il y a aussi ce qui se passe dans la tête du chien, et ce qui se passe dans son système endocrinien. Il affirme que oui, ça peut être les hormones, mais il y a tellement d’autres variables qui entrent en ligne de compte : le chien est-il mâle ou femelle, stérilisé ou non… De plus, on doit tenir compte de tous les neurotransmetteurs qui sont en constante interaction avec l’environnement, car celui-ci peut ou non induire du stress, ce qui nous amène à nous questionner : est-ce que le chien est heureux ou pas, est-ce qu’il a une possibilité de travailler? Simon cite en exemple les Border Collies que l’on garde 8 heures par jour sur un canapé, alors que le niveau de dopamine de base de ceux-ci est très élevé, ce qui fait que ces chiens ont besoin de travailler, d’être stimulés. Il fait une parenthèse en précisant que ces chiens sont d’ailleurs très sensibles à l’anticipation. L’obligation à l’immobilité des Border Collies vont les rendre très pathologiques, très névrosés, et très malheureux de rester dans cette situation.
Simon résume en disant que l’environnement externe et interne du chien contient des centaines de variables qui comptent dans un comportement particulier. J’ajoute qu’en plus, on oublie souvent les besoins du chien : on leur demande d’être comme on voudrait qu’ils soient sans tenir compte des variables.
Je poursuis en revenant sur le concept de l’anticipation pour rebondir sur les hormones : l’anticipation fait sécréter des hormones de plaisir, qui seront sécrétées encore plus la fois d’après, etc., etc. Tout ça pour dire que tout est lié, que c’est une chaîne. Simon acquiesce et ajoute que, surtout dans le cas de l’anticipation, c’est la dopamine qui entre en jeu, qui est un neurotransmetteur très proche du système de renforcement, mais qui est aussi très rattaché au système moteur. Autrement dit, la dopamine nous fait faire des choses, nous fait passer à l’action et nous permet également de rester attentif à ce qui se passe autour de nous. Je conclus en ajoutant «De là, la concentration du chien».
24:30: J’annonce à Simon que j’ai une dernière question à lui poser, une question que j’aime bien poser à mes invités, donc on sort du «chien» : «Avez-vous déjà fait quelque chose dans votre vie que vous considérez aujourd’hui comme étant une erreur, mais si vous aviez la possibilité de revenir en arrière, vous referiez quand même cette erreur? Parce que cela vous a apporté quelque chose…»
Simon hésite lorsqu’il entend «Parce que cela vous a apporté quelque chose». Je précise que normalement, une erreur nous apporte quelque chose, mais je rebondis en disant que peu importe si ça lui a apporté ou non quelque chose, il est libre de répondre à la question comme il le veut.
Alors Simon dit qu’avant d’entendre la dernière partie de la question, il avait une idée en tête, et il décide tout de même de développer cette idée. Je l’encourage à le faire.
Il débute en se demandant si c’était une erreur ou pas, mais, comme la plupart des gens qui ont eu un chien, il a dû un jour faire euthanasier un de ses chiens, et pour ce chien en particulier, il y pense encore avec émotion.
Il raconte que c’était tellement un bon chien! Il souffrait, mais ce n’était pas toujours évident, la douleur allait et venait en grandes vagues et c’était plus ou moins contrôlé par des médicaments, et ces médicaments la rendaient encore plus malade. Il ajoute que cette situation était une torture pour lui, et ça lui a pris des années avant de se décider à l’euthanasier. Il a dépensé des milliers de dollars pour essayer qu’elle se sente le mieux possible.
Et un jour, il s’est dit que ça n’allait plus, la chienne n’avait plus de qualité de vie, et il a pris sa décision de la faire euthanasier le lendemain. Mais le lendemain matin, évidemment, elle allait mieux… mais il a quand même procédé à l’euthanasie. Il précise que c’était une jeune chienne, elle avait seulement 4 ans. Il conclut que oui, cela a été difficile.
26:40: Pour conclure, Simon ajoute en riant que, durant sa carrière académique (et en sous-entendu, sa vie), il a fait des conneries! On fait des erreurs, c’est sûr, dit-il, mais dans le cas de sa chienne évoquée ci-dessous, nommée Kaya, il regrette oui et non. Bien sûr, il aurait aimé que les choses soient différentes, mais la vie est ce qu’elle est… Cette chienne avait l’air heureuse à certains moments, et pas du tout à certains autres. Mais de toute façon, il ajoute que c’est extrêmement difficile de prendre la décision de l’euthanasie pour son chien, mais ce fut pire pour ce chien. Car Simon précise qu’il a dû aussi faire ce choix pour d’autres de ses chiens, plus vieux. Il avoue que ce choix aussi a été difficile, mais ça ne l’a pas torturé comme pour Kaya. J’interviens pour dire qu’à 4 ans, c’est normal de se poser plus de questions que pour un chien de 18 ans, par exemple.
Simon résume en me disant que c’est la seule chose qui lui est venue à l’esprit à ma question. Il ajoute en riant que ce n’est pas parce qu’il ne fait pas d’erreurs! Et moi de renchérir en expliquant que ce que j’aime, c’est que les gens me disent ce qui leur vient à l’esprit. Je trouve toujours intéressant de les faire revenir sur un événement de leur vie pour terminer l’entrevue.
Je remercie avec enthousiasme Simon, en ajoutant que j’ai trouvé l’entrevue vraiment intéressante! J’ajoute que de mon côté, c’est à mon tour d’aller l’écouter en conférence les deux prochains jours, ce dont j’ai vraiment hâte!
Et merci à vous, chers spectateurs, d’avoir écouté cette entrevue, en espérant que vous ayez en appris un peu plus sur le chien!